ready player one (ambrosi)

Chiara est installée à la terrasse du café depuis un petit moment déjà. Elle y a pris ses habitudes. Soit le matin avant de rejoindre son oncle à l’atelier, soit le midi, à la fin de sa pause déjeuner. Ou même plus tard, à l’heure où les gens cessent le travail, où le soleil n’est plus cuisant et les esprits se relâchent. Cette fois-ci on est en plein milieu de l’après midi. Elle a laché sa glaise humide, elle en a eu assez de l’ambiance sombre de l’atelier alors que le soleil brille dehors. Et puis elle est curieuse Chiara. Elle est déjà passée par le café la veille au soir et elle y a rit. Beaucoup rit. Alors elle veut voir si elle peut rire cette après-midi aussi. Tout ça c’est à cause du serveur brun. Qui l’aurait cru. Pas elle. Elle le connaît comme elle ne le connaît pas d’ailleurs. C’est un de ces visages qu’elle croise depuis des années. Elle sait qu’il est d’ici, il lui semble savoir qu’il s’appelle Ambrosi, ou quelque chose comme ça. Ils ont peut-être même quelques connaissances ou amis en commun, ça n’est jamais bien surprenant pour les natifs de Malcesine. Elle connaît surtout sa réputation de tombeur. La même que son père. Toujours un beau sourire qui fait chavirer le coeur des plus naïves et la langue douée pour se délier et chanter comme celle d’une sirène des écrits antiques. Parole, parole. Comme cette vieille chanson, aussi vieille que sa mère. Un italien en somme pourrait résumer certains touristes étrangers. Alors oui, hier soir, un peu encouragée par le cocktail qu’elle venait de boire et le pari qu’elle venait de faire avec Marta, elle s’était levée de sa table pour le trouver alors qu’il était en train de flirter avec une cliente, comme d’habitude. Et du tac au tac, elle avait affichée une mine mi-attristée, mi-choquée, laissant sous-entendre qu’il l’avait abandonnée enceinte après une nuit d’amour. Chiara ne pensait pas éprouver un tel plaisir à découvrir sa mine déconfite. Il l’avait crue. C’était une véritable éventualité pour lui. Il ne se rappelait même pas qu’ils ne s’étaient jamais touchés. Jusqu’à ce que Chiara éclate de rire, dévoilant la vérité à bout de souffle à cause de ses éclats de rire. Et puis elle était retournée à sa table pour continuer d’en rire avec Marta. Finalement, ce court moment avec Ambrosi l’avait plus distraite que toute l’animation liée aux fouilles depuis son retour à Malcesine. Peut-être était-ce aussi des années de colère refoulée à l’égard de son père qui avait à présent la possibilité de s’exprimer, mais Chiara n’accorde aucune importance à cette réflexion. Elle vit dans l’instant présent. Et en cet instant, elle a simplement hâte que Ambrosi prenne son service et que son inspiration guide ses prochaines actions. Elle a son coude appuyé sur la table, le visage calé sur son poing fermé et elle fixe la porte du café depuis la terrasse, mordillant distraitement l’agitateur en plastique de son verre vide. Si la connexion de Malcesine était bonne, elle aurait simplement eu à lancer un hashtag un peu trendy sur les réseaux sociaux avec le visage d’Ambrosi et le tour aurait été joué. Toutes les touristes seraient à l’abris de ses mensonges. Malheureusement la technologie n’est pas l’alliée des habitants de Malcesine ou de ses touristes.