incognito (coco).

Elle l'a vu quelque part, elle le sait. Depuis l'altercation avec la jeune femme de ménage dans sa chambre, le visage de l'homme qui a fini par la rejoindre ne cesse de réapparaître dans l'esprit de Noor. Elle l'a déjà croisé, ailleurs, dans cette autre vie qui était la sienne là-bas, à New-York. Alors elle cherche, elle creuse, dans ces doux souvenirs et la nostalgie d'un temps qui s'enfuit. Ce soir encore. Elle s'accorde une promenade dans la fraîcheur de la nuit qui tombe, longeant la plage à quelques pas de l'hôtel. Et quand ses pensées ne se tournent pas tout naturellement vers Carl, ou parfois vers Baltazar (quand elle les laisse vagabonder trop longtemps), c'est le visage juvénile de l'inconnu qui se rappelle à elle. Mais elle ne trouve pas, on est trop loin de New-York, la vie à Malcesine bien trop différente, et peu à peu le souvenir de ses traits s'efface ; alors elle rentre à l'hôtel.

Comme une heureuse coïncidence, alors qu'elle traverse le hall, voilà sa silhouette. Et c'est Noor dans toute sa splendeur qui prend place, Noor tornade, Noor sans gêne. « Hey! You! » Elle l'interpelle comme si c'était son droit de l'importuner, comme s'il avait des comptes à lui rendre à elle, Noor Cresta. Assurée, elle se dirige vers lui d'un pas rapide, furie. «  I know you, right ? » Alors qu'elle lui parle, elle étudie son visage, cherchant désespérément à se souvenir d'où elle l'a déjà croisé. La véritable question, pourtant, est peut-être de savoir pourquoi ça lui importe tant. Votre vie, Madame Cresta, est-elle si vide qu'il vous faut la remplir de futilités ?

https://www.youtube.com/watch?v=0e6iMMkbOXQ

shut up and dance— Il a travaillé de 5h à 13h. Il rend la garde à quelqu'un d'autre, il en peut plus, il veut rentrer chez lui et dormir, de tout son soul, ne plus jamais avoir à travailler de sa vie. D'autant que Silvia n'est pas venue depuis un moment, alors il s'ennuie. Il a à peine le droit d'écouter de la musique en passant l'aspirateur, c'est vraiment pas le boulot de ses rêves. Des fois il pense à arrêter. Et puis il se dit que, bien qu'il ait beaucoup d'économies, il doit garder le goût du travail, sinon il n'arrivera jamais à s'y remettre.
Et, alors qu'il traverse le hall, veste en jean à la main, tee shirt pas repassé sur le dos et cheveux débraillés (il devrait peut-être envisager un rendez-vous chez le coiffeur), il entend qu'on le hèle en anglais, ce qui est assez étrange pour qu'il le note. Il fronce les sourcils. Il s'arrête, se retourne vers la jeune femme qui a justement cherché des ennuis à Silvia, il y a quelques semaines maintenant. Elle dit qu'ils se connaissent. Il n'y croit pas vraiment.
Il réfléchit.
Une jeune femme, blonde, aussi belle, et américaine. Oh s'ils se connaissent...
Ca ne peut qu'être lorsqu'il voyageait partout dans le monde, aux bras de multiples milliardaires en tous genres. Il se tend légèrement, serre sa veste en jean dans sa main et lance : " I don't think so, i would remember you." Elle est si belle, ça l'avait déjà frappé la première fois. Visage, littéralement, parfait.

Désormais, leurs visages sont tous proches, et elle étudie l'ensemble de ses traits sans avoir la décence de s'en cacher. Son regard se poste sur ses yeux vifs, sa mâchoire marquée, qu'elle est absolument certaine d'avoir déjà vus. Elle creuse dans sa mémoire, fouille, encore et toujours (une autre forme d'archéologie certainement, celle des souvenirs, plus noble encore peut-être que celle des chercheurs à quelques kilomètres).

« I don't think so, i would remember you. » Il affirme, niant toute possibilité d'une rencontre. « Well. That's a nice thing to say. » Si la remarque peut être flatteuse, Noor n'en démordra pas : elle a déjà vu cette tête quelque part, et ne compte certainement pas s'arrêter là. Qu'il compte rentrer dormir chez lui, qu'il ait un rendez-vous, qu'importe. Ni l'un, ni l'autre, ne quittera ce hall avant qu'elle ait obtenu des réponses. Elle n'a pas été habituée à ce qu'on lui refuse quoique ce soit, Noor, femme-trophée pourrie gâtée puis oubliée, mise de côté. Alors elle s'accroche, à tout ce qui peut, encore, sembler lui donner corps ; même si cela s'avère être un homme de ménage juvénile.

« Oh I'm sure we've met before. Come on. Did you travel to New-York, maybe, in the last few years ? » Une vente aux enchères, une soirée peut-être. Obsession soudaine pour ce souvenir, ce visage, cette voix même, qu'elle sait avoir déjà entendue. « What's your name, by the way ? » Noor le questionne en fronçant les sourcils, contrariée de ne pas avoir pensé à le lui demander plus tôt.

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dancing on a rope — Il est paniqué, un peu, il contient sa surprise, également sa peur, bien à l'intérieur. Et son visage est tout proche, il se sent épié pour des années, il se sent apeuré, à pas comprendre, à pas assimiler. Elle est là, avec ses yeux perçants, ses idées brumeuses mais ses envies claires. Lui il sourit pas vraiment, il voudrait faire un pas en arrière, il se contente. Il la brosse dans le sens du poil, pour qu'elle le laisse tranquille. En dedans, il crève de peur, il veut pas que ses secrets profonds soient découverts.
Et lorsqu'elle demande son voyage, dans la capitale de coeur américaine, il se mord la lèvre. Effectivement, il y est allé, et il serait bien incapable de dire combien de fois il y a séjourné, et avec combien de millionnaires différents. Il a la gorge sèche, la bouche pâteuse. Il veut pas mentir, il sait qu'il serait mauvais. Il veut pas dire la vérité, il sait qu'il serait jugé. Il est face à un dilemme. Alors il dit, bredouille : "I-I don't remember." Ca ne tient pas la route mon cher, on n'oublie jamais quand on va à New-York. Il regarde ses pieds. Il se résigne. " Well in fact yes, i did, many times..." Il se contredit seul, il cache quelque chose, il est mauvais dans l'art de la dissimulation. Il hésite à lui donner son véritable nom, que personne ne connait. Mais ce n'est pas une bonne idée, autant ne pas en révéler trop d'un coup. Alors, la mort dans l'âme, il dit doucement : " Coco. " Well that's not a name, qu'elle dira sans doute.

On pourrait se croire dans un épisode de Desperate Housewives, tant Noor était comme ces femmes qui s'ennuient, qui s'ennuient tant qu'elles le consacrent - leur temps - à créer des problèmes, à les inventer, les façonner de toutes pièces malgré elles. Elle se prend pour une enquêtrice, maintenant, Sherlock Holmes à ses heures perdues. Son interlocuteur répond, cafouille, lui arrachant un haussement de sourcils. Il cache quelque chose, et ça ne fait plus le moindre doute. D'abord aucun souvenir de New-York, et puis finalement si, à de nombreuses reprises. Il se présente, Noor reste sceptique.

« Coco ? Really ? I feel like I've heard that name before. » Elle remarque, assez certaine qu'on lui a déjà parlé de lui. Pourtant, quelles seraient les chances de le retrouver ici, à Malcesine ? Noor est de plus en plus persuadée qu'elle déraille complètement, qu'elle se fait des films. Alors elle abandonne, pour un temps du moins. « Well, happy to meet you. I'm Noor. » Elle lui lance un sourire presque désolé, et lui tend la main, dans un geste d'apaisement. Complètement névrosée, il doit se dire. Folle à lier. Changement de sujet, tentative de cessez-le-feu. « So, Coco, how did you like New-York ? » Elle ne sait pas, Noor, à quel point ses questions peuvent mettre mal à l'aise son jeune interlocuteur. Tout ce qu'elle veut désormais, c'est passer pour une personne normale, ne serait-ce qu'un peu, laisser passer sa petite lubie et sauver les apparences. Pourtant, dans un coin de son cerveau, la machine à souvenirs continue de faire défiler les images, à la recherche de celui qui se trouve là, juste en face d'elle.